Amy Winehouse: le diable au coeur
Les choses vont de plus en plus mal pour la diva soul rongée par un mal qui l'inspire et la détruit
Didier Dana - 16/11/2007
Le Matin online C'est un mal sournois, une sorte de bactérie qui la ronge de
l'intérieur. Alcool, drogue, automutilations, déprime? Amy Winehouse
est malade. A ce stade, tout le monde redoute un tragique épilogue.
Depuis une semaine, les événements s'enchaînent. Son mari, Blake
Fielder Civil, le héros noir de son coeur, est en prison. La
séparation, moteur de sa créativité, a toujours mis la chanteuse à vif.
Pour preuve, cet épisode sur scène. Avant-hier, le public a
copieusement sifflé la diva soul. Elle fêtait ses retrouvailles avec la
scène londonienne. «Couillons! Leur a-t-elle balancé. Vous verrez, ceux
qui sifflent, lorsque mon mari sortira de prison...» Hier on apprenait
que Thom Stone, son manager, avait jeté l'éponge. Le médecin de cet
homme aux nerfs fragilisés a constaté qu'il inhalait passivement de
l'héroïne dans le bus de la tournée. «Too much!»
«On m'a brisé le coeur»Amy Winehouse, la plus douée, la plus
intéressante des chanteuses de sa génération est, à ce stade de sa
carrière, devenue une sorte de caprice sur pattes. Une enquiquineuse
pathétique.
Son génie est cousin de la folie. L'histoire à force d'être
resservie ressemble à une soupe froide. Au fil des papiers, chacun
recopie ce qu'a écrit le précédent. Amy Winehouse, elle, a su garder
intacte sa part de mystère. La fille à l'accent cockney a décidé de ne
plus parler à personne. Surtout pas à la presse. Et pour lui dire quoi
au juste? «Je suis malheureuse et je me drogue?»
«Il y a peu, personne ne savait qu'elle était Juive et Blanche»,
fait remarquer son entourage dans l'excellent «I Told You I Was In
Trouble» (distr. Universal), le documentaire qui accompagne le DVD d'un
concert qu'elle a donné à Londres. Le titre est une mise en garde assez
claire.
«Quand je chante, je me sens comme un vieux rabbin», lançait-elle
lorsqu'elle adressait encore la parole aux médias. Un de ces moments
bénis où, entre deux morceaux joués à la guitare sèche, elle arrive, de
sa voix nue, à mettre tout le monde d'accord. Que se passe-t-il alors?
Au fond, et c'est l'une des explications de son mal, lorsqu'elle
chante, Amy Winehouse semble réveiller un fantôme, un être disparu, une
morte, un esprit. Un démon.
Elle qui a le diable au coeur a tiré l'album «Back To Black» du
tréfonds de ses larmes, 10 titres enregistrés en quinze jours avec
l'assurance de celle qui sait ce qu'elle veut. Le son d'époque, des
compositions paroles et musiques d'un classicisme et d'une maturité que
l'on croyait à jamais perdus. Un grand disque.
Ce carnet de croquis de ses malheurs vous ramone les tripes. Pour
peu que l'on s'attarde sur les paroles, on est pris d'une sorte de
vertige. En quelques phrases, crues, elle dit tout de la blessure
intime. La sienne, blessure universelle et amoureuse. Un homme l'a
quittée. «Je suis tombée amoureuse, dit-elle, et on m'a brisé le coeur.
Je m'en suis inspirée». Elle ajoute: «Pour bien chanter, je dois me
remémorer ces émotions.» Voilà tout. Son père, Mitchell, chauffeur de
taxi, s'interroge conscient du danger qui la guette: «Est-ce qu'elle
devra toujours souffrir autant pour composer?»
Sa fille née en septembre 1983 est brillante. Elle a imposé un
genre, elle qui n'était qu'une ado floue aux joues de hamster est
devenue un grand objet de curiosité. Une anorexique au chignon
tentaculaire. L'artifice cache sa vraie nature, son image plus nette,
vraie, la fille dans la poupée qu'elle martyrise.
Elle aime les déguisements. Gamine, Amy se barbouillait le visage,
grimée en Minnie à Pourim, cette fête juive qui célèbre la délivrance
du joug des Perses. La fillette, élevée dans la religion, a 6 ans sur
la photo. Trois ans plus tard, ses parents divorcent. Janis, sa maman,
est pharmacienne. Elles vivront ensemble.
Dans son album de famille, on retrouve la gosse à 14 ans. Déjà le
personnage s'esquisse. Elle a quitté l'école. Premier passage dans une
émission de télé. Moue têtue, elle toise l'animateur avec l'oeil noir
et interrogateur des mauvais jours. Celui qu'elle jette, aujourd'hui
encore aux émissaires des tabloïds, le lendemain d'une mauvaise cuite,
d'une nuit de sang et de larmes. A 16 ans, Amy est attirée par le jazz,
ses premières amours. Elle joue de la guitare. Trois ans plus tard, au
Festival de Glastonbury, il pleut des hallebardes. Elle lance à la
foule: «Si on met de l'ambiance, le soleil va apparaître.» Elle finira
sous un arc-en-ciel. Présage qui lui arrache un sourire.
Un foutu caractèreSuivra «Back To Black», le chef-d'oeuvre
sorti en 2006, un retour aux sources et à la musique noire dont elle
explore toutes les nuances après «Frank» premier CD pop à succès. Ceux
qui s'étonnent de la fulgurante transformation de la demoiselle
trouveront peut-être la réponse dans le DVD. Amy gagne en maturité,
mais le talent, son timbre, ses mots, sa personnalité, sont là, à
portée d'oreille, de main, dès ses débuts. On découvre que la fille a
de l'humour, une culture musicale, un vrai métier. Une voix! L'histoire
est jolie racontée à hauteur d'homme, avant la légende, la
surmédiatisation. On devine le reste. Les dérapages qui la laissent,
ballerines roses maculées de sang, comme une écorchée au petit matin.
De telles dégringolades l'histoire du rock les collectionne. Brian
Jones, Jim Morrison et Kurt Cobain. Noyade, overdose, suicide. Avec Amy
Winehouse, on redoute la fin.
L'autre soir, elle s'est enfermée dans les toilettes. Trente minutes
de grosses larmes. Une éternité pour son entourage qui la sait capable
de tout. C'était après les sifflets du public londonien. Et son mari,
Blake Fielder-Civil, celui à qui elle jette des oeillades désespérées,
entre deux verres d'alcool depuis la scène, tarde à sortir de prison
pour la venger...