J'ai trouvé ça sur le net, article très intéressant ! Les divas déglinguées du rock : Amy Winehouse
Look hallucinant, propos crus et comportements azimutés... elles portent le flambeau de la provoc. Fer de lance de ces nouvelles chanteuses : l'intrigante Amy Winehouse. DR
« Ils ont tenté de m’envoyer en cure de désintox’, j’ai dit non, non, non » (
They tried to make me go to rehab, I said no, no, no) »… Comment ne pas craquer pour
Rehab, cette irrésistible pépite de soul music moderne chantée d’une voix sans âge mais d’une profondeur absolument magique par une drôle de brindille brune tatouée de 24 ans ? A la radio, dans les supermarchés, à la une de la presse musicale ou à scandale, Amy Winehouse est partout. L’Anglaise incontrôlable et insaisissable, dont le franc-parler n’a d’égal que le penchant suicidaire pour l’excès, est la révélation de l’année. Puristes et grand public s’inclinent devant la classe du deuxième album ô combien fédérateur d’Amy Winehouse, Back to black, œuvre d’une artiste pourtant a priori à des lieues d’un modèle consensuel.
Cas isolé ? Pas vraiment. Si, en 2007, on a assisté au triomphe des gentils dadais Christophe Willem et Mika, ce sont surtout les filles aux langues bien pendues, aux propos crus et aux looks et comportements non stéréotypés qui se sont imposées. Nos Koxie ou Yelle hexagonales, avec leurs hymnes antimecs (
Garçon,
Je veux te voir) qui font fureur dans les cours de récréation ; la monumentale Américaine Beth Ditto, meneuse tout en chair et en gosier du groupe The Gossip, qui affiche ses rondeurs avec un bel aplomb ; ou encore Lily Allen et Kate Nash, impertinentes Britanniques à la tchatche venimeuse, ont envahi les ondes et les disques durs des iPod.
Le « girl power », jadis prôné par les préfabriquées Spice Girls, n’a jamais résonné aussi fort et rencontré un tel écho.
Ni victimes ni marionnettes, qu’elles soient d’authentiques artistes, des militantes féministes ou simplement de joyeuses opportunistes qui ont juste envie de s’amuser, ces filles refusent de mâcher leurs mots, de brider leurs sentiments. Et donnent de la voix, mettant leurs envies ou leurs problèmes en avant, rendant aux paons mâles la monnaie de leur pièce. Trente ans après la déflagration punk, ce sont aujourd’hui les femmes qui portent le flambeau de la provoc en parant leurs revendications d’habits soul, électro, dance ou rock.
Mais pourquoi la Winehouse sort-elle du lot, survole-t-elle ce raz de marée de suffragettes pop d’un genre nouveau ? Dalida, vedette blessée consacrée, chantait, en 1980, à l’approche de la cinquantaine, Je suis toutes les femmes (« Je vis vos joies et vos mélodrames / Je suis sentimentale et parfois femme fatale aussi / Que l’on me condamne si mon cœur s’enflamme / Devant les projecteurs qui me visent en plein cœur / Chaque nuit »). L’intrigante Amy pourrait en dire autant. Mieux : elle est aussi toutes les chanteuses, passées, présentes et à venir. Toutes les femmes capitales, toutes les artistes majeures qui se sont emparées un jour d’un micro pour susurrer ou hurler leurs fêlures.
Lorsque, à l’automne 2006, Amy Winehouse a spontanément rabattu le caquet de Bono (de U2), lancé dans une mégalomane tirade humaniste lors d’une cérémonie show-biz, d’un tonitruant « Ta gueule, on s’en tamponne ! » – autrement dit : ce que tout le monde ou presque pensait tout bas –, la jeune Anglaise à tête maquillée comme un camion volé a brillamment rappelé toutes celles qui, avant elle, soutenues par leur seul talent, ont combattu pour la reconnaissance d’un individualisme au féminin dans un univers essentiellement masculin. Dans la voix bouleversante comme dans le regard à la fois défiant et craintif de cette fille de chauffeur de taxi londonien aux allures de rescapée d’un girl group des sixties (The Ronettes, The Shangri-Las, The Supremes…) défilent comme des fantômes près d’un siècle de divas vulnérables.
Depuis toujours, des filles aux caractères bien trempés ont exprimé en chanson leurs blessures, leurs doutes, leurs revendications et leur sexualité. Dans le blues ou le jazz d’hier, certaines n’y allaient pas par quatre chemins pour se plaindre des performances de leurs partenaires et revendiquer leurs insatisfactions, leurs désirs. Il suffit d’écouter le relativement explicite
Don’t come too soon (« Ne viens pas trop vite », de Julia Lee, 1949), ou le très suggestif
Big Long Slidin’ Thing – « Le long truc qui coulisse » n’est pas forcément un trombone –, de Dinah Washington (1954), pour s’en convaincre (1). Mais ces chansons aux textes semi-cryptés s’adressaient aux seuls adultes avertis, et pas vraiment au « grand public », lequel se repaissait alors plutôt d’inoffensives bluettes romantiques.
Billie Holiday, Edith Piaf, Nina Simone, Tina Turner, Janis Joplin, Sinéad O’Connor, Mary J. Blige… Combien de femmes fracassées, abusées, dotées de voix inouïes, ont tenté d’exorciser leurs démons en chanson ? Refusant de se reposer sur leur statut de stars adulées, elles ont ébranlé des générations d’auditeurs avec leur chant terrifiant et sublime, expression sans fard d’existences parfois insupportables. La plupart (Billie Holiday, Edith Piaf, Janis Joplin), trop abîmées, sont mortes d’avoir exprimé si intensément leur mal-être. Les autres (Nina Simone, Tina Turner, Sinéad O’Connor, Mary J. Blige) ont survécu, sauvées par l’amour, pour elles et pour leur art, et par la reconnaissance de leur talent.
Amy Winehouse n’a probablement pas souffert le millième de ce qu’ont enduré ces écrasantes aînées, victimes d’un temps où dominaient le racisme et l’inégalité des sexes, où le féminisme, encore, balbutiait. Mais son désarroi, sa vie plombée par la dépression, la toxicomanie, l’alcoolisme et une relation romantique à l’excès avec son mari (« bad boy » Blake) n’en sont pas moins authentiques. Tous ceux qui l’écoutent aujourd’hui, qu’ils compatissent ou s’identifient, entendent ce cri poignant dont il devient ensuite difficile de se passer… A-t-elle seulement conscience de ce talent sidérant ? Impossible de le savoir : elle ne donne plus aucune interview. Finalement, c’est Mark Ronson, le producteur-DJ prodige new-yorkais qui l’a encouragée à s’éloigner de la clique des aimables néocrooneuses jazz-pop (de Norah Jones à Katie Melua) auxquelles on l’avait associée à ses débuts, qui a le mieux défini l’art sauvage d’Amy Winehouse : « Elle a réintroduit l’esprit rock et rebelle dans la musique populaire. »